mercredi 23 mai 2018

LA MORT DANS UN PARKING

[Dans un recueil de colères j'ai écrit ce texte qui essaye de tout rapporter.]





« Je me suis assis... J'ai fermé les yeux - comme ça - et je pense : Ceux qui vivront cent, deux cents ans après nous — et pour qui nous déblayons maintenant le chemin — se souviendront-ils seulement de nous ? » Anton Tchekhov (1860-1904)




Le vieil homme est allongé mort dans la grisaille, au creux d'une sorte d'abandon d'un lieu-dit froid comme le sont tous les parkings. Hostiles. Leur tristesse, leur désolation, la menace rampante. Voici le coeur qui lâche, je le sais, en connais parfaitement le mécanisme... et c'est facile. Une horlogerie de la douleur. Un truc qui se reproduit tous les vingt ans et qui m'assomme. Moi qui reste aussi courageuse qu'idiote.
Ça va être encore de ma faute... voilà la mécanique principale qui voit le jour et qui s'essaye à ne pas pleurer. Vouloir être importante même là ? Narcisse observant les dégâts, pour une fois qu'il regarderait autre chose que lui-même. Parce que j'imagine qu'on a toujours notre part dans la mort de tous ces proches qui s'en vont. Et sans vouloir essayer de penser qu'il suffit de se flageller pour y échapper. On y est.
Je n'étais pas là à ce moment-là.
Tout réside dans ce souhait de parvenir à la dompter la mort où comme au cirque et elle serait un tigre-serpent qui à la fin saluerait et disparaîtrait. Un être hybride qui sera justement le clou du spectacle. Quand la mort n'existera pas autrement que grimée. C'est pas le temps ! Elle regarde toujours en biais et ricane puisqu'elle tient aussi de la hyène et se tait comme les vautours observant ceux qui se battent encore, et de qui ils vont se nourrir, eux, bientôt. Après. Regard amusé de ces oiseaux toujours plus ou moins décharnés.
Je le voulais immortel mon ami, Yves Lecerf, le mort de l'histoire. Et je ne tenais pas tant que cela à croiser encore cette mort contre laquelle on est toujours perdant. Au casino de celle-ci, c'est l'absence qui emporte toujours la mise, comme dans tous les lieux de jeu d'ailleurs. La chance ça n'existe pas en la matière. Elle lui a fait ça.
Yves Lecerf, le chef du département d'Informatique de Paris-8, l'ancien Normalien et Polytechnicien, l'un des fondateurs de l'Association de Défense des Familles et de l'Individu (ADEFI) qui lutte et récupère les membres de sectes et qui souhaiteraient en échapper, l'un des précurseurs de la traduction automatique des langues qu'il lâche, celui qui fera aussi les premiers calculs concernant les centrales nucléaires qu'il considérait comme ses « bébés », le membre de cabinet ministériel à l'époque de Georges Pompidou il me semble, l'auteur, l'ami de Robert Jaulin et de Michel de Certeau, le professeur qui gît-là dans un des sinistres parkings de l'université de Saint-Denis, au bord d'une nationale et dans un désert aussi silencieux.
Avec pourtant ce bruit de fond permanent, celui de l'énorme ville, une capitale qui gronde toujours et contre toute éternité.
Dans ce truc comme en friche qu'est encore à cette époque la fameuse université Saint-Denis - Vincennes, Paris-8. Et malgré les grand travaux qui s'y opèrent depuis longtemps, défaisant peu à peu le provisoire durable du préfabriqué, l'université s'installe dans le 93 en département jugé malcommode. François Mitterrand lui-même vient inaugurer la plus grande bibliothèque universitaire de France. Je ne l'ai vu que dans la fan zone... trop de monde.
Paris-8 est son fief à l'homme mort dans le parking. Il me l'a appris, mais pas parlé de cet enlèvement d'une mort prévue.
La sournoise maladie des coeurs qui si elle ne se voit pas, s'acharne.
Là gît la coque vide d'une âme désespérée, d'un jeune homme de 64 ans qui avait prédit sa propre mort, son suicide cosmique.
"Avant l'accomplissement", le dernier hexagramme du Yi-King, le sien, sa mort annoncée. Il ne manquait plus que ça !
Et tu te serais décidé à te laisser mourir en appelant ces forces du coeur justement et qu'elles s'arrêtent ? Tu me l'avais bien caché puisque tout le monde semblait être au courant, sinon moi, comme le disent les femmes trompées.
J'ai du pourtant le deviner, je devais le savoir et c'est toi que je disputais à l'époque au bout du téléphone. Quand je m'agite en manie, qu'elle gronde bien malgré moi, c'est que j'ai compris que quelque chose de grave adviendra, la chute du mur ou celle de Yves dans ce parking. Et devenue libellule empêchée et effrayée, frappée de noir, je sombre dans un oubli de folie, ma bonne excuse.
C'est ainsi comme si dans l'au-delà tu y étais déjà, comme s'il fallait que je me débarrasse de toi, avant l'heure. Je n'ai jamais ignoré les silences. Sauf qu'ils finiront toujours par me terroriser.
Toutes ces morts puisque c'est encore de ma faute dont-il s'agit. Fâchée avec mon père le temps d'une soirée, mais la veille de sa mort, pour inventer autre chose que l'ignorance et des mots que personne ne dira. Mais la culpabilité ne m'a pas été enseignée et cela aide.
La manie, encore elle on dirait, m'avait décidée avant de quitter ce Département d'Informatique où je ne voulais plus travailler, une possible carrière que je fuis chaque fois, à écrire à la fin des petits-mots à chacun des professeurs. Des trucs idiots, des billets, mes oracles un peu bêtes pour un départ définitif. Et ces mots imbéciles envoyés rendaient mon départ bien plus définitif qu'il n'était possible, la folie ou mieux le ridicule imposent leurs barrières. Me rendre idiote en croyant ainsi ne rien sentir. Comme si ça se voulait sans retour. Peut-être était-ce cela que disait mon ami, Yves devant qui ils se gaussaient à plaisir, quand il parlait de ma manie de « scier la banche sur laquelle j'étais assise ».
Ça n'est pas la peur qui me fait fuir ainsi, mais plus souvent emmêlée à elle la déception, qui s'insinue en tout ce que je vis. L'idéaliste la connaît bien.
Il s'inquiétait pour moi, aurait aimé me savoir en sécurité. Las... Sachant qu'il allait mourir ? Je n'ai pu lui prouver comme la vie le dira, que j'étais plus débrouillarde que mes peurs.
Bien sûr qu'évidement je ne suis pas à l'origine de tous les arrêts cardiaques que je croise. Ça va mal. Au moins je le sais.
Et j'apprends l'histoire seulement après sa mort, cette histoire idiote de l'hexagramme. Qu'est-ce que disent ces femmes imbéciles qui m'ont confié leur secret après, comme extasiées ? Waouh ! ça marchait les âneries de grand-gourou ! Une idiotie qu'il ne s'est pas dépêché de me conter, pourtant il m'en avait bien imaginé d'autres d'histoires biscornues. Pas celle-là.
Qu'est-ce qui l'avait décidé à y croire ainsi ? Et s'il n'a pas osé m'en parler, comme si j'allais casser sa prévision, sa baraque de foire, illusionniste devant de fausses naïves. Comme si j'allais gueuler encore plus fort contre des idées aussi saugrenues, contre ce si terrible vertige de mort, ce présage institué.
Pas là. Il aurait osé s'écrouler ainsi devant moi ?


Je l'avais cherché cet homme et reconnu et trouvé. A la fin je n'allais plus au cours du jeudi, son rendez-vous amoureux avec les étudiants qu'il invitait ensuite à boire dans les cafés du coin, plus tard au restaurant chinois jusque loin dans la nuit. Inquiet de ne bientôt plus pouvoir payer sa tournée. Et là encore, et s'il n'y mettait pas le prix, personne ne viendrait vers lui. Ça il le croyait aussi dur comme fer, autant qu'à son ésotérisme de bazar. Je pensais avoir été assez explicite et je m'étais trompée. Il avait lui aussi besoin de beaucoup trop de mots.
J'avais tant d'amour pour lui, jusqu'à me décider adoptée, croire que j'avais du temps, croire qu'elle ne gagnera pas cette fois encore. Pas si tôt. Pas si seul.
Il me donne rendez-vous deux fois rapprochées peu de temps avant sa mort, dans un café à côté de la gare du Nord, près du Boulevard Magenta où j'habite alors dans une chambre de bonne à l’oeil. Dernières visites et s'il n'y avait pas pensé...
Pas me dire au revoir ? Impensable à y regarder de près. Partie nulle.
Qu'est-ce que je serai devenue sinon ? Et pourtant c'est aussi cruel puisqu'il semblait savoir déjà. Il m'a tu tant de choses et je l'ai laissé faire. Il ne s'agissait pas de mensonges, alors j'avais le temps. A ce point-là j'aurais du me méfier. Mais rien de tout ça n'était d'un ordre que j'aurais pu comprendre et accepter. Non c'était pas du jeu.
Ces deux visites, c'était décider de me faire échapper à la culpabilité oui. Elle fausse tant les jugements. C'était un ingénieur issu de l'école Polytechnique. Changer un joint ne lui était pas aussi difficile. L'ingénieux menteur, et aurait-il pu ignorer qu'à chacun des rendez-vous qu'il me donnerait, je serai toujours là ? Deux fois. Présente. A la troisième non. On rigole avec des preuves dont nous ne cessons d'avoir besoin, l'un comme l'autre. De la peine il ne se doutait pas, c'est sûr. Comment le remercier ? Il ne se trouvait pas indispensable non plus.
« La Toune (c'est moi) a déjà essayé de se suicider ? » Je le regarde mi-figue mi-amusée. Il me préfère plutôt folle que morte. De quoi a-t-il peur ?
De si doux moments, sans que je sache qu'il me faisait ses adieux. Et quelque chose me laissait perplexe pourtant. Dans la brasserie où nous étions, ces moments furent si savoureux, que je me disais simplement « ...qu'est-ce qu'on s'aime... » et en être joyeuse. Les meilleurs qui partent en premier. D'accord... Bis repetita.
Il me dépose aux Champs-Élysées. « Reste Toune, allez viens avec moi... »
Je rigole forcément encore en sortant de la voiture et ça s'appelle l'éternité à ce moment-là, précisément. J'ai toujours fui la mort, alors c'est comme si j'en étais tout autant coupable, plus, malgré tout. Et de toute façon quand les gens sont morts, on arrive forcément en retard. La disparition a toujours une longueur d'avance sur tout le monde. Personne n'en est le premier averti, sinon le mort. Est-ce que j'aurais pu le sauver dans le parking où il s'est écroulé ? Le géant blessé au coeur de minot. L'homme le plus fervent que j'aie rencontré. Le plus original, le meilleur.
Quand je le trouvais, je passais des jours avec lui, camouflée en secrétaire jusqu'à ce que nous prenions une autre direction.
Un homme aussi étrange au début, avec des regards qui me faisaient peur, un doute furieux qui brillait ou l'éteignait. Quelque chose de monstrueux et dont la douleur n'était pas tarie. Mais se transforma à notre contact. Il redevenait bon et humain, sa base d'envol, perplexe et l'ayant refusé, c'est une telle torture d'aimer.
Au début, il m'emportait à tous ses rendez-vous façon mascotte. Souvent il s'endormait dans la voiture. « J'ai besoin de me reposer un moment... » Une vieille Peugeot décapotable au toit ouvrant à moitié déchiré qui protégeait à peine de la pluie. Il en avait d'ailleurs trois identiques et en aussi piteux état. Il aimait la nuit ou elle le terrorisait, il y travaillait au moins dans son coeur. Son sommeil était tremblant, tressaillant comme s'il ne pouvait jamais réellement se reposer. Comme s'il criait même au-dedans ou surtout.
J'attendais silencieuse et étonnée dans une rue de Paris où il s'était arrêté pour s'assoupir quelques instants. Récupérer ce que la peur lui a ôté, dans les bruitages de la ville. J'avais une peur aussi perceptible que toutes mes interrogations. Je connaissais à peine cet homme dont je surveillais le sommeil. Envie de partir, de trouille aussi. Il est dingue ? Il inquiétait au moins.
Tu m'as ramené ce soir-là tout près de chez moi, d'un tour en voiture, comme j'aime, comme ça me fait des souvenirs et m'en rend de très anciens. Un père me conduit.
"Tu vis avec quelqu'un ?
- Oui.
- Et tu l'aimes ?
- Oui."
Questionnée sans cesse par la disparition de mon père, je rencontrais cet homme qui avait justement l'âge idéal de l'être (ses années 30 quand mon père était de 1920, « gosse de vieux » on disait alors). La preuve en était puisqu'il avait deux filles exactement du même âge que ma soeur et moi. Pareil, mathématique déjà. J'étais la benjamine encore. Et il n'avait pas revu ses filles depuis 1975, l'année de la mort de mon père, lui depuis un procès retentissant. Agé de 55 ans par ailleurs presque quand je l'ai rencontré, âge critique de la mort de mon père. L'heure dite.
Croyez-moi j'ai depuis si longtemps inventé ce calcul mental permanent et qui heureusement aussi m'amuse et finit en si compliqué. Insensé.
Je le sauverai celui-là, comme on s'accroche à toutes les coïncidences qui font que l'on aime quelqu'un. Il tiendra presque dix ans.
Nous vivions une sorte de rencontre forcée, qui s'élargira jusqu'à la belle amitié d'une fine équipe. Cette filiation inventée, vécue et par qui et dure encore, en moi. Exactement ex-æquo avec mon paternel. Ça n'est pas rien de le dire, rien de plus que ce qui fût et restera. L'homme qui m'a portée. A chercher aussi du côté de l'ergot de seigle pour supporter ma folie. Et qu'il m'aime pendant dix ans, c'est bien ainsi, c'est gagné sur le temps justement, sur la mort bien sûr. Sur la souffrance. Plus malade pendant vingt ans à partir du top de départ de sa fin.
« Malheur souhaite rencontrer un autre malheur et aussi grave, pareil. »
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En rire. C'est la condition. Malheureux d'absences, c'était comme allumer un feu de camp et parler jusque tard dans la nuit en mangeant des marshmallows.
Je l'observais silencieusement cet homme fragile, avec peur et affection. La peur disparaîtra, essayera de s'inventer un autre mouvement, à force. L'affection grandira autant, plus à chaque fois. Nous ne nous quitterons plus jamais. Même si je me suis absentée, comme on croit que le port restera éternellement à sa place, à attendre, à m'attendre. Se retrouver.
Ainsi combien de fois lui ai-je demandé, incertaine et perdue, toujours et malgré lui, si il m'avait remarquée quand moi je le voyais pour la première fois. Et un professeur a une dimension visible qui peut le rendre attractif au mieux.
A l'Université d'Orsay, menant le débat ce jour-là, avec maestria, assurance. Et soudain, revenu à la vie civile, devant le buffet dressé pour l'occasion, alors timide, comme effrayé quand je m'adresse à lui. Les deux faces d'un homme d'exception. Le malheur recouvrait tout et je m'en aperçus dès la première fois qu'il m'invita chez lui.
« Est-ce que tu m'as vue ? » telle sera ma constante question. Ou est-ce que j'avais encore construit à moi-seule une histoire qui finalement n'existait peut-être pas au-delà de moi justement ? Il répondait toujours oui à cette question, facétieux, comme on veut que l'autre soit tranquille, mais pas tout à fait.
« C'est la rencontre de deux archétypes... » murmure-t-il quand je suis ce jour-là contre lui. Lesquels ? Je ne sais pas ce qu'il a voulu dire et ne lui en reparlerai pas. C'est déjà joli, comme on ouvre pas certains cadeaux ou trop tard. Il me connaît déjà mieux qu'il ne le dira. Des interrogations laissées en suspens j'en ai encore des millions. Il est Calviniste d'origine et j'ai quelques questions à ce sujet, cette histoire de la « grâce ». Sans vraiment savoir je trouvais déjà ça a priori injuste du peu de ce que j'en comprenais. Et c'était comme si je ne pouvais pas lui demander, me le permettre, pas me tromper de question, surtout si je ne trouvais pas le bon angle et à temps. Je me tais.
Rester dans la question et le partage d'un père-(adoptif). Il y a un temps où on cherche moins à comprendre quelqu'un que d'être avec. A l'évidence nous étions noués. Noués comme des mouchoirs et pour se souvenir.
On n'allait pas ressasser le malheur, comme si nous n'étions faits que de ça. Rien que deux malheureux, pour de rire.
Son appartement ressemblait véritablement à un bunker en désordre absolu, qui montre au moins qu'il en a fait un abri anti-tout. Et j'appris plus tard qu'il fut agressé jusqu'à l'horreur par des sectes et bien sûr la scientologie pour qui il était jugé "suppressif", un de leurs mots baveux. Que faire sinon supprimer les suppressifs justement, puisque c'est prévu d'une manière comme d'une autre dans leur code d'horreur. La Dianétique, leur Mein Kampf. Une pâle histoire de science-fiction inventée par Ron Hubbard pour des gens enracinés principalement dans les terres de l'argent. C'est leur signe de croix. Ils vont jusqu'à l'abomination sans être puni ou rarement. Pas là.
La maison d'Yves, un lieu que j'ai aimé de suite. Il m'emportera au fond comme on est sur une île qui vous appartient en propre et où personne ne viendra à l'improviste. Comme on va déballer un autre cadeau plus confus. Comme on retrouve un doudou intact. Une grotte, un abri sans doute. Un Éden en bazar.
Il donnait avant que je ne le rencontre, un cours sur le sujet des sectes et pendant de nombreuses années. Alors ces gens de chez Moon et autres inventions morbides de l'époque, s'invitaient à son séminaire pour en faire le rapport.
Il était encore comme figé, gelé dans un souvenir atroce et merveilleux à la fois, presque entièrement cassé par le départ de sa femme, tête pensante de la secte avec son complice le pape Jean. Embobinant ses propres enfants. Livrant ses filles, brutalisant le fils, les enfants de Yves Lecerf. Rien que ça.. Quelle vendetta en elle ?

[Dans les contes de Grimm, très souvent, la marâtre n'est pas forcément la belle-mère comme on le pense, mais plus souvent la mère, la biologique. On trouve de ces marâtres-mères et elles veulent, elles décident d'envoyer leurs enfants dans le bois comme dans Hansel et Gretel. C'est elles qui en ont l'idée et pas la pauvreté seule. Le meilleur exemple étant l'histoire de la femme du Pécheur, qui n'a même pas d'enfant d'ailleurs, et qui dit clairement celle-là que ça n'est pas son affaire. Elle veut grimper. Châtelaine, reine et bientôt papesse. Et après ? A vos manuels des frères Grimm, elle y est La femme du Pécheur. Elle existe et c'est une torture pour chaque enfant de telles femmes quand elles en ont. Elles torturent leurs mômes ces Muttis là, en jouissent. Après, se voulant à l'égale de Dieu et le remplacer aussi facilement que de devenir la reine du monde. La fin mirifique de cette femme du pécheur, on l'espère. Elle se retrouve dans sa cabane, comme au début... Une cabane en bois, bois de sapin dans lequel se retrouvent à la fin même les plus riches, même les plus importantes, les plus ambitieuses.]

Dans un cauchemar récurrent, la femme d'Yves Lecerf entraîne tout avec elle. Sorte de Médée. Comme on retire l'amour, comme on veut casser du père, pour se perdre éternellement dans une invention hideuse, sur le dos d'un mec pauvre, Jésus, celui qui se baladait en sandalettes comme ils l'oublient toujours. Civitas ou les frères Melchior. Ce Yeshoua, c'est son prénom pas trafiqué, et qu'ils ont empaillé dans un de leurs châteaux. Eux contre lesquels Yves Lecerf qu'ils crucifient et se battra en vain.
Devinez pourquoi ? Pourquoi les attentats ? Pourquoi oui la Loi de 1905 et pourquoi non la Loi de 1905 ?
Liberté de culte ?! Dans les années 70, n'importe quel débile invente des trucs comme des draps ensanglantés qui sortent de la machine à laver – Houdini lui-même n'y avait pas pensé – et c'est la liberté d'inventer du vaudou sur fond d'orgies sexuelles. Liberté de cultes vous dis-je.
Et heureusement l'un des premiers contrats des anonymous concerne la Scientologie et ne lâchent pas ? Interrogez-vous, même aujourd'hui.
De fausses croyances criminelles circulent et elles en ont le droit. C'est dans les années 1990 que les choses ont commencées à changer en France au moins et avec le Rapport Vivien qui expliquait les sectes et leurs pièges. Donnant des moyens pour empêcher certaines dérives constatées. Dans d'autres pays d'Europe ils peuvent être encore laxistes, en fête regrettable d'un communautarisme qui exclut toutes et tous, et respectant le mot Eglise même sur fond d'hérésie comme en Espagne. Cependant que la flotte de la Sea Org, celle du créateur de la scientologie, devient une autre nécessité : échapper au fisc et aux moeurs sûrement, puisque malgré tout un certain nombre de pays essayent de la démasquer cette secte, comme une tentacule plus dangereuse et à tous les étages. Aux États-Unis ou en Espagne, elle est considérée comme une religion légale. On joue perdant. Mais des gens se battent qui pour certains ont vécus, y sont même nés dans la secte pour beaucoup. Basculer puisqu'ils sont trompés depuis le début. Des enfants deviennent suppressifs pour leurs parents. Ou l'inverse.
Voler, violer, briser, sur fond de signes de croix, de coeurs sanglants et d'annonces. Tordre le Texte de référence bien autrement jusqu'au pire, renversement de valeurs comme au marché de certains satanistes. Tous ces livres qu'ils se refusent à lire, Ancien, Nouveau ou Dernier Testament.
Quand Ron Hubbard invente le texte fondateur, La Dianétique, c'est encore le mieux. Rien pour vous contrarier. Un blouguiboulga de meneurs inventifs. Ou les inepties de Claude Vorilhon devenu Raël, passeur de relations inter-galactiques et attendant auprès des anges, c'est à dire de femmes élues qui les servent forcément.
Femmes qui servent autant au pape Jean de la secte des Trois Saint-Coeur, celle de la femme d'Yves Lecerf qui concerne mon ami. Trois frères en rois de l’esbroufe, des chimistes avides et des magiciens du chantage qui remportent toutes les mises. Le chef a de l'ascendant pour le moins et comme d'habitude. Le paradis des Vierges sur terre n'appartient pas aux seuls Musulmans. Pas moins pas plus que Daech. Pas autrement.
Pas contre cette loi de 1905 soit, mais elle a les moyens d'obliger à respecter des monstres comme on le voit aujourd'hui, quand Yves Lecerf était martyrisé hier, sans qu'on le veuille le savoir, sans qu'on l'écoute (Les marchands de Dieu. Analyse socio-politique de l'affaire Melchior (Trois Saints Coeur) Ed. Complexe 1975).
Alors oui on a pris cependant depuis quelques mesures à propos de ces sectes. C'est heureux et sera un soulagement notable, pour Yves aussi au-delà. Même certains scientologues sont tombés depuis, ont pour certains remboursés leur dette.
Yves Lecerf n'a pas cessé d'imaginer les moyens d'y échapper au sectarisme, pas lui seul. Il agaçait son monde à demander à chaque étudiant qui rendrait un travail, Master 1 ou 2, un lexique. Sans bien l'expliquer d'ailleurs. C'était la preuve à l'oeuvre que ce lexique ne serait jamais le même pour tous, que nous le façonnions chacun. Pas un mot dont nous n'ayons pas une définition propre qui restera nuancée. Heureusement. Pas un dictionnaire qui eut raison définitivement. La nique aux immortels. Un préalable qui se prouvait à chaque fois que nous acceptions d'y avoir affaire, car on est tous à si facilement oublier que personne n'a raison.
Un bel exemple que j'ai vécu, c'est dans un HP où je me baguenaudais encore une fois, nous patients avons joué au jeu de donner la définition d'une mot, s'imaginer en dictionnaire. Je jouais le jeu jusqu'à presque en donner la phonétique. Pendant qu'une autre fille hospitalisée fit un coq à l'âne qui la conduisit à nous parler de son anorexie. Définition large d'un mot qui n'avait pas pour nous ce rapport là. On peut faire de grands écarts avec certains mots.
Et je n'ai compris cette question qu'en travaillant à mon mémoire. Je l'ai fait ce lexique et je l'ai compris comme une idée passionnante.
Perdant ou gagnant, Yves ne reverra jamais plus ses filles. La douloureuse payée cash avec des arriérés.
La scientologie, cet autre monstre sans tête ou cette hydre déterminée, le vit en ennemi aussi décidé et n'avait rien à perdre puisqu'il était au désert. Ses membres déposaient des lettres d'insultes le concernant dans les boîtes au lettres de tous ses voisins, et autres intimidations si violentes contre lesquelles on ne pouvait pas grand chose. Il n'osait pas tout raconter et j'avais peur de certaines questions que je ne posais pas. Au début j'étais effrayée quand j'arrivais chez lui à l'idée d'y croiser l'un ou l'autre de ces Adeptes.
Ils finirent par laisser tomber, laissant cet homme effrayé, abîmé, désolé.
Il travaille alors après assez logiquement sur la rumeur et combien il est impossible de s'en prémunir. Désamorcer une rumeur est aussi définitif, précis que de déminer. Le coeur battant qu'on essaye de dominer et jusqu'à croire pouvoir se dominer. Tomber de détresse.
Il avait ajouté dans son appartement, des portes aux portes, comme s'il avait eu besoin de plus de protection encore que sa porte blindée. Comme s'ils l'avaient harcelés jusqu'à son palier, sa seule sortie de secours. Jamais tranquille. Il dormait mal et semblait souffrir quand il y parvenait. En proie aux cauchemars comme on n'est jamais tranquille. Le repos il avait oublié ce que c'était. Au moins absent un moment, pas seul, alors que tout vit autour de lui, garé à Sèvres-Babylone ou ailleurs.
On ne s'est pas apitoyés pour autant, parfois pour de rire puisque c'était de toute manière toujours trop. Le procès de 1975 et d'autres avant et après, étaient partout dans la maison. C'est eux qui faisaient peur et à Yves aussi. Des dossiers et des dossiers dans toutes les pièces, des bibliothèques de témoignages, faux pour certains et atroces, jusque dans les couloirs, jusqu'à l'obsession, la hantise. C'était oppressant, insupportable.
Un jour, Yves en voyage aux États-Unis me laisse son appartement. Je le connaissais depuis seulement quelques mois.
J'aurais pu croire que cet endroit me ferait peur, et c'était bien le cas par moment et en son absence. Mais pas principalement. Sinon je ne serais pas restée. Je me demandais pourtant au début dans quelle galère j'étais embarquée. Est-ce que je passerai mon temps à le regarder souffrir, ne pipant mots ? Il y avait cependant des traces encore, des empreintes partout qui disaient déjà l'avenir, et sans que je l'entende encore étant devenue le dernier cri de l'écho. Mais il y aurait aussi la paix et un profond sentiment de sécurité qu'éveilla cet homme-là en moi. J'ignorais quel sens j'avais pour lui.
A force de fabriquer des histoires, elles existent, mais sont-elles des preuves ?
Alors chez lui j'ouvre les boites d'archives, pleine de la fascination que tout cela exerce sur moi. Sur tous d'ailleurs, mais comme un lâche abandon généralisé. C'était trop messieurs mesdames ?
J'ai bien compris à une époque que j'étais regardée bizarrement. Était-ce parce que j'étais là, à ses côtés ? Et combien s'y étaient essayé(e)s avant moi. Les filles d'ethnologie m'interrogeaient comme si je possédais un secret. Je n'avais pas les mots ou peur de trahir quelque chose que je ne comprenais pas encore très bien moi-même. Alors je bredouillais comme quand c'est le cas. Leur intérêt pour moi concernait Yves surtout. J'avais passé le gué on aurait dit, mais lequel ?
« Je vous ai toujours sentie bien malgré moi comme une rivale... » me dit la dernière amoureuse de la vie d'Yves Lecerf. Pas moi. On ne jouait pas dans la même cour, alors rivalité. C'est ce que j'ai répondu. Je n'ai d'ailleurs compris que très tard qu'ils étaient ensemble, qu'elle attendait dans la voiture quand il me visitait chaque jour presque à la Salpêtrière en 1992, là où j'étais hospitalisée en toute folie. Quand j'étais méchante avec lui parfois. Et le regrettais.
La seule rivale pour moi étant Isabelle, cette femme de mon ami, entêtante ou hantise.
Me retrouver seule dans cet appartement de Saint-Cloud où il vivait, c'était comme croire un temps être chez Barbe-Bleue. Alors qu'il s'agissait du Marsupilami le plus désolé, au désespoir si intense d'absolu. A l'agonie, comme quand on a le coeur aussi gros. Alors qu'il s'agissait de l'inverse. C'est Barbe-Bleue qui lui avait tout pris.
Il était encore au dedans du Procès en permanence et toutes ces saloperies qu'il y avait entendues alors et entendait encore, le laissant plus perdant, plus humilié.
L'incompréhension c'était ce qui dominait. Presque dix ans plus tard, à la fin, il descendra ces archives dans la cave et je l'y aiderai. Son fils aussi.
Il me racontait combien cette année là 1986 était particulière : perdre sa mère (et quel amour l'animait quand il parlait d'elle), retrouver son fils (heureux, dérouté, effrayé aussi), faire le premier congrès sur l'ethnométhodologie (sa marotte, son espoir). Et me rencontrer, comme une autre coïncidence.

Il travaillait sur la vérité, et s'en chasser comme on quitte un Eden morbide, en ausculter les recoins obscurs pour prouver que finalement elle n'existe pas ou seulement provisoirement, seulement entachée par tous nos liens.
Elle l'avait rattrapée, comme on découvre un jeu de mort. Les 64 hexagrammes maudits pour toujours. Un jeu de dupe pour moi et fallait-il le démontrer ?
Après avoir construit des modèles d'adeptes de sectes dans son laboratoire, il voulait trouver la parade, passer à l'offensive encore autrement que de montrer des marionnettes qui parleraient à des marionnettes.
Trouver le moyen de déjouer le piège de la raison, de la science et des raisonnements spécieux qui laissaient eux aussi entrer des monstres en nous. Ne plus se laisser éblouir par celui qui prétendrait la détenir, la vérité. Et en user, en abuser forcément. Tordre la réalité que nous inventons tous, chacun, sans que l'un ou l'autre aient jamais forcément raison. Et comment ça marchait partout de croire qu'on a même mathématiquement raison. Contrarier l'objectivité qu'ils ont à la bouche.
Alors il donnait évidement définitivement tort à l'intelligence artificielle – après en avoir été un des chefs, de ses balbutiements européens, à Rome, et autour du thème de la traduction automatique des langues – un autre de ses gros soucis.
Cette défense qu'il décidait de jouer était elle aussi liée encore à l'enlèvement, à la secte et comment ne pas se laisser piéger dans cet absolu du vil.
« Et te rencontrer... » Il m'était pourtant impossible d'y croire. Mai contenta ! Alors mes questions, d'où l'idée fixe, de savoir si cette vraie histoire que nous vivions n'avait été que ma seule construction. M'accaparant l'amour si effrayée de ne jamais y croire tout à fait, pour ce qui concerne l'autre en face.
Parfois dans les cafés ou les restaurants, il s'allongeait sur la banquette, se tenait finalement fort mal et je restais perdue d'interrogations. Un autre signe pourtant seulement de son épuisement. Et bien sûr de son indifférence à la bienséance qui lui avait jouée tant de mauvais tours.
Je crois que finalement aussi il s'est redressé, sans pouvoir échapper à la peur. Je m'interrogerai constamment sur le fait que je ne saurai jamais comment était Yves Lecerf avant sa brûlure, avant l'effondrement.
« Dis donc avec M. la transmission de pensée marche plutôt bien... (J'invente un peu pour le faire maronner)
- Quoi ?! Quoi !? Et moi... »
Il tire les dés faussement nerveux, sa manière de jeter les pièces ou les baguettes du Yi-King. « Non, décidément... » Il essaye encore. Non, décidément non. Qu'est-ce qu'il espérait ? Me parler depuis sa mort éternelle ? Qu'il n'y compte pas. Aucun. Aucun d'entre eux, ni revenu d'aucune manière et pas faute de l'avoir imaginé. Personne ne revient de là et aucun signe de nous frappera jamais.
C'est nous qui fabriquons l'éternité, mais pas celle imaginée par Bill Gates, Mark Zuckerberg et consorts. Les plateaux de oui-ja peuvent déborder d'esprits frappeurs, c'est rien que des inventions souvent imbéciles pour passer le temps.
C'est ce que certains cherchent à dire encore quand ils pensent qu'il vaut mieux voir les gens morts pour de vrai. Ça aiderait soi-disant... Mais cette véritable face bistre, ce truc qu'on ne pourra jamais bien maquiller puisque ça n'aura plus jamais de mouvement, et n'est pas du tout étonnant. Pas éclairant c'est sûr. C'est bien comme ça que je les avais déjà vus dans ma tête, gris et morts. Sans vie et c'est terrible. Un moment oui, un instant non. A la seconde près.
La mort inscrite m'est insupportable, ne me dit rien. Je le sais puisqu'il n'est pas le premier, pas en tête de liste de cet affrontement-là. On n'est pas tous à la fréquenter autant. Mon insouciance – sinon mon rire – s'est dissoute il y a bien longtemps. On a plus de devoir quand la mort vous a frappé ainsi, même si sa cruauté reste incommunicable. Même si on se croit chargé de prévenir l'imprévisible et l'innommable.
Il comptait sur quoi ? M'envoyer des flashs ? Il savait pourtant bien qu'il ne fallait pas y compter. Je le vois. Ça bat et ça s'arrête. Ça bat et ça s'arrête. Ça s'arrête. Ça s'arrête.
Et on va croire échapper à la mort en silences morbides la concernant ? Quand on écrit au travers, à l'aide d'un filtre qui s'appellerait le style, on avance aussi dénudé, autant. Ce qui continuera forcément à vous étonner. Et vous n'y pourrez rien.
« Il est parti.. ». Non, il est mort.
Mais oui je t'entendrais et continue de répondre. Elle marche la transmission.
Elle vient la musique. A Yves quand dans les derniers temps je la lui fais réécouter, celle qu'il a bannie. Son monstre en écoutait. Le diable a tout pris. J'y reviens de mon côté. Et quand la musique est trop forte, je m'échappe, ange et bête.
Il m'a donné un signal de vie. Pas moins. J'y pense à égalité de cet homme-là avec mon père, comme je sais le faire. Aussi sincèrement et bien plus ancré dans la vie par certains aspects. Peut-être celle d'une parole qui compte autant pour moi. Et mieux forcément parfois que le paternel sous certains rapports, puisqu'il est là lui aussi, que je l'ai questionné même silencieusement. A Yves je lui ai parlé pour de vrai. J'ai vraiment besoin de le redire pour que vous en compreniez le fin mot, puisque j'ai beaucoup discuté avec Yves Lecerf, même s'il était très pris. Épris de guerres aussi.
Et il m'a parlé à son tour.
Il y a tant d'événements depuis que j'aurais aimé partager avec lui. Souvent j'adresse des moments de l'actualité à ceux, de mes morts, qui se sentaient concernés par ci ou ça. J'en discute encore volontiers avec eux, et me heurte au final à mon soliloque.
Seule sur mon île – et il ne s'agit pas d'une métaphore – je regarde et me sens impressionnée au-delà par ces 360° impossibles et qui font comme on est lové. Au dedans, au dehors.

Poésie Vaincra ! Et vaincra contre tout les crimes et c'est ta vérité.
C'est ce que je souhaite te dire principalement. Tu en es le père.
Mon père d'arme.



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