lundi 29 juillet 2013

Jeux dangereux

En réalité, qui était Yves Lecerf restera bien sûr sans réponse. Des traces, des anecdotes, ce qui reste après.
Un homme bon et qui s'en défendait. Et un homme en colère.
Je l'ai vu se mettre dans des rages noires, absolues. Une amie l'avait vu éjecter un étudiant du secrétariat. Alors, elle aussi intéressée par l'énigme Yves, se demanda si les rumeurs n'étaient pas fondées, si ce n'était pas un homme méchant comme certains le disaient. Un terrible homme de pouvoir qui voulait tout dévorer.
Un lion blessée, c'était tout à fait son air. Alors ceux qui faisaient courir ces rumeurs où voulaient-ils en venir ? Et que cachaient-ils eux aussi ?
Fiers d'appartenir à la faculté de Robert Jaulin, lui aussi devenant un vieux lion, qu'ils voulaient autant dépasser. Ils n'étaient surement pas comme ces autres professeurs qui vénéraient d'une certaine manière le travail de Jaulin, continuaient de s'en inspirer. Mais son ami Yves Lecerf quel place pouvait-il avoir dans leur hiérarchie quand au pouvoir des uns et des autres ?

Cette faculté de Charles V, après Jussieu, était aussi bruissante de complots fomentés contre les "chefs" et qui ressemblaient à des coups d'épée dans l'eau, qui faisaient seulement et surtout perdre un temps inestimable. A Yves Lecerf aussi.
C'est bien lui qui était invité aux soirées chez Jaulin, qui alors habitait la Butte de Montmartre. Et pas les deux qui aimaient à jouer les intelligents et engageaient une guerre contre l'esprit de cette unité de formation. Ils imaginaient pouvoir la conduire, Jaulin devenait vieux et se laissait sûrement entraîner par cet avide de pouvoir, Yves. Ils n'avaient pas compris que : chaque chose en son temps. Et que leur heure n'avait pas encore sonnée... Et sonnerait-elle ?
Ce sont de sacrées pointures qui furent à l'origine de ce département d'ethnologie. Des gens comme le philosophe Jean-Toussaint Desanti, Serge Moscocivi, Michel de Certeau  ou le cinéaste Jean Rouch.
Et Dibie et Jean Arlaud un cinéaste ne furent pas à même de maintenir l'existence d'un diplôme une fois qu'Yves lecerf et Robert Jaulin l'année suivante moururent.
Je ne sais pas comment les choses se poursuivirent en fait, puisque après l'annonce de la mort de Jaulin, je ne suis plus jamais retournée à Charles-V.

Les guerres de chefs, c'est long et triste. Yves était toujours menacé, puisqu'il était soupçonné de vouloir phagocyter ce diplôme, comme s'il s'agissait d'un sombre projet de destruction.
Il savait les rumeurs qui couraient sur de lui. Tu parles ! Harcelé par les scientologues et autres sectaires terrifiants, Yves se moquait des péripéties de luttes de pouvoir, dans le fond, tellement plus anodines. Mais ça lui bouffait son temps, précieux, et son travail autour de l'ethnométhodologie.
Les ayant entendu parler de la menace Lecerf, je me suis demandée, même le connaissant, si tel était son but. Tous les deux ou trois ans, il fallait renouveler la demande de diplômes et les propositions de Pascal Dibie et des siens ne remportèrent jamais la mise.
Yves leur laissait pourtant régir les diplômes qu'ils dirigeaient. La seule contrainte, et dont ils ne firent aucun cas, était de demander à leurs étudiants qui rédigeaient ces mémoires, de faire un lexique aussi.

De toute manière, je parle, je parle, et sans savoir tout des tenants et des aboutissants. Peut-être que je décris un Yves seulement comme un rêve que j'aménagerais ? Et n'ayant qu'un son de cloche finalement, le sien. Plus que le pouvoir, c'était gérer un diplôme qui lui permettrait de travailler ce qui lui importait. Et cela prenait autant sinon plus de temps que ces recherches effectives. Fatigant...

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