mardi 14 août 2012

Rendez-vous jeudi prochain...

Rien ne rendait Yves plus heureux qu'un rendez-vous avec ses étudiants. Le jeudi. Pour ce que j'en connais.
Alors la préparation des cours était minutieuse et faisait généralement la semaine, et chaque trouvaille répercutée dans ces cours.
Je faisais longtemps, longuement, ce fameux jeudi, de fastidieuses photocopies de tous les textes qu'il voulait partager et choisir comme support. Tandis que Yves arpentait ce jour-là la maison en disant "Je ne veux pas aller à l'école...". Car je pense qu'il était sérieusement impatient, et inquiet à la fois. Il était timide. Et c'était incongru au regard de la place qu'il occupait. Le signe de cette timidité était la toux qui précédait chaque prise de parole. S'éclaircir la voix comme on prépare un saut à l'élastique.

Les étudiants lui avaient appris l'essentiel, disait-il. En premier lieu l'astrologie qui l'étonnait chaque fois et qu'il pratiquait d'une manière originale, dont je reparlerai.
Ces étudiants à l'origine étaient "ceux" de Robert Jaulin et de son UFR Ethnologie, Anthropologie et Sciences des religions qui se situait d'abord à Jussieu, où commencèrent avec Yves les pots après le cours. Quelque chose qu'il instaura sans difficultés, assez loin assez près de ces jeunes gens pour se permettre cette liberté.
Il fût très vite bluffé par de tels étudiants. Épatants, des gens qui partaient si loin, l'Amazonie pour les uns, la Mongolie pour l'autre, et longtemps. Ils vivaient généralement ici comme en escale, et comme l'avait fait Jaulin avant eux, dans une proximité aussi grande avec des gens de là-bas.
Dans cet UFR on ne disait pas "Je hais les voyages", pas décidé encore à voyager seulement dans un bureau. Les uns partaient quand d'autres revenaient, travaillant et agissant tout à la fois. Ceux que je rencontrais me semblaient plus zen que la moyenne. Robert Jaulin, nomade, avait "fait" de ses étudiants des espèces de Touaregs ou d'Indiens d'Amérique déguisés et pas l'inverse. Une espèce rare, cela Yves Lecerf le reconnaissait et en tirait profit pour lui d'abord et redistribuait.
J'étais largement intimidée à mon tour par ces vrais baroudeurs, moi qui connaissait à cette époque à peine l'Europe.
Cette jeune femme qui s'était aperçue que sa tache de naissance pouvait être apparentée à la Mongolie. Tache Mongol. Elle traversa ce pays pour y chercher une de ses origines et apprendre. Périple qui dit son histoire. Des contes qu'Yves Lecerf aimait aussi.

Plus tard quand il fût question d'ethnométhodologie - les cours avaient alors lieu à Charles V dans le quartier St Paul - les pots eurent à nouveau cours... Et se finissaient généralement dans un restaurant chinois tard dans la nuit pour certains. Anciens étudiants et nouveaux se retrouvaient mêlés, les uns apprenant aux autres des trucs pour leurs voyages futurs.
Discussions ensuite aussi sur les concepts ethnométhodologique. Yves Lecerf aimait l'idée de laboratoire, en tout premier lieu il en avait fondé un concernant les sectes, qui se poursuivait dehors, dans la vie..

Yves est mort un jeudi. Son jour. Robert Jaulin un jeudi aussi, seulement un an jour pour jour après.

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