mardi 22 novembre 2011

LES VOYAGES ASTROLOGIQUES ou attraper les étoiles

Yves Lecerf ne s'est jamais remis tout à fait de sa découverte de l'astrologie, connaissance qu'il a acquise peu à peu, d'abord à l'aide des étudiants qui la lui ont enseignée, puis à partir des recherches et trouvailles qu'il fit par lui-même, grâce aussi à une bibliothèque très complète qu'il acquit peu à peu sur le sujet. Allant jusqu'à s'essayer à des calculs mathématiques (il était mathématicien de très haut niveau ayant intégré Normal Sup en mathématiques) qu'il tenta de faire essentiellement à la fin de sa vie, étonné encore de cet art divinatoire qui lui semblait dire tant de choses de lui-même et des autres. En vain. Et pourtant ça marche, sans trouver véritablement satisfaisantes les explications qu'il se donnait, qu'il cherchait.
Parmi les premiers étudiants qu'il a rencontrés, il y avait de bons astrologues, qui l'ont surpris, épatés, au point de l'intéresser de très près à cette science divinatoire.
Yves Lecerf était un grand inquiet, un grand timide, une grande intelligence et l'astrologie le rassurait et l'amusait toute à la fois.
C'est Gérard Miller, psychanalyste et homme de médias, qui a écris un livre concernant l'astrologie, s'en moquant bien sûr et démontant la face cachée de cet attrape-gogos. Pas le premier en ça. Un vrai succès cependant. Ne pas croire en l'astrologie, mais s'y connaître au point de pouvoir, après quelques lectures, dire des choses intelligentes et caustiques sur le sujet, une recette assurée.
Yves Lecerf est tombé, lui, dans le panneau, traversé le miroir. Bien sûr c'est l'aspect prédictif qui l'intéressait, comme tout le monde, l'espoir d'être rassuré un jour, apaiser l'inquiétude. Et je ne suis pas sûre qu'il y soit parvenu, sinon quelques instants.
L'aspect psychologique de cet art divinatoire lui importait moins, mais en tant qu'espèce d'explication du monde et des hommes, cela le fascinait tout de même. C'est une discipline étrange qui permet, de par son caractère didactique, d'entrer en contact avec les autres, d'engager la conversation et d'aller de suite à l'essentiel, d'avoir moins peur. Il appréciait cette meilleure connaissance d'un lui-même que lui permettait l'astrologie. Détricoter et composer un dessin de soi-même en lien avec le ciel, c'est très joli. L'astrologie un art, et une nécessité. Qui parle d'y croire ?
Mes connaissances en astrologie nous étaient un lien. Une langue que nous pratiquions couramment sans tout comprendre. Elle suscitait une foule d'interrogations, c'était là l'intéressant. C'était en mouvement et souvent abscons, comme la vie.
 
Mais ce qui intéressait Yves Lecerf par dessus tout, c'est une invention très particulière de l'astrologie, que je me dois de vous expliquer un peu. Il s'agit de ce que l'on nomme la révolution solaire.
Chaque année dans la période de votre anniversaire, le soleil de votre naissance passe exactement à la même place, au même degré que lorsque vous êtes né. Mais plus à la même heure et plus dans le même temps bien sûr. Donc le soleil reste le "même" mais toutes les planètes autour se trouvent placées différemment et forment pour une année un nouveau thème qu'il reste à interpréter, en relation avec le thème de naissance. Fréquemment aussi vous ne vous trouvez plus dans la même ville qu'à votre naissance, ce qui bouleverse les paramètres aussi, latitudes et longitudes étant différentes, modifiant aussi les données initiales.
D'autres astrologues, avant Yves Lecerf, avaient songé qu'en changeant de lieu on pouvait choisir en quelque sorte son futur ascendant de l'année, mettre certaines planètes en valeur. Ceci l'intéressa au plus au point. Changer son destin... un doux rêve.
Mais d'aucuns apprendront peut-être ici, que son premier voyage aux Etats-Unis à la rencontre du sociologue Harold Garfinkel, a été d'abord et en premier lieu favorisé, motivé, par la conjoncture des planètes lors de cette révolution solaire et qui était très favorable à ce point là de la planète ! Il prit date. Yves restait perplexe quand à l'idée de voyager, il remettait souvent. Mais il souhaitait rencontrer Garfinkel, le plus difficile restant de quitter sa maison. Il hésitait, il retardait, il annulait parfois. La conjoncture astrale l'aida à se décider. Une bonne motivation. Ainsi il est allé en Italie, en Alaska (!), à Aix-la Chapelle, un peu partout dans le monde, essentiellement pour placer Jupiter, considéré par les anciens comme le "grand bénéfique", généralement au milieu-du-ciel, le lieu de la réussite professionnelle et sociale.

Chaque jour, nous avions de longues conversations de "spécialistes", nous questionnant, essayant d'interpréter le plus finement possible, les aspects que les planètes faisaient entre elles et en quoi elles nous concernaient. Dialogues d'imbéciles heureux, heureux d'interpréter les mouvements du ciel
Yves Lecerf fit aussi une seule fois, la révolution de mars à Rome (qui lui, revient tous les deux ans à sa place), pure invention de sa part ! Nous étions dans la capitale italienne - je le connaissais très peu. Il avait bien essayé d'inviter des amis, mais aucuns n'étaient disponibles. Il m'invita. Je prenais l'avion pour la première fois.
A une heure bien précise, il fit le tour du temple de Mars.
Revenir à Rome n'était pas une mince affaire. Yves Lecerf y avait vécu avec toute sa famille. Ce temple autour duquel il marchait comme un indien rigolard, il le connaissait d'avant. Je vis moins Rome d'ailleurs qu'Yves à Rome. C'était inquiétant, drôle et triste à la fois.
Ce n'est pas desservir son travail que de parler de cet hyper-rationaliste plongé dans les étoiles.
Je crois que ce choix de ne pas servir qu'un seul maître, est sans doute ce que je lui reconnais de plus juste. Et qui faisait de lui, en fait, un être d'exception ne jouant pas les exceptions. Il était aussi polytechnicien. Ce mot veut tout dire d'Yves Lecerf. Le prenant au pied de la lettre, il l'a usé jusqu'à la trame.



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