dimanche 14 mars 2010

L'ethnomethodologie et le Yi- king

En 1986 (quand j'entrepris ces études d'ethnologie) eut lieu à l'Université d'Orsay, le premier colloque sur l'Ethnométhodologie. Se dessinait déjà une lutte entre deux  camps qui s'affrontaient alors en France, deux traductions de l’œuvre de Harold Garfinkel. Les sociologues de l'Ecole des Hautes Etudes contre les professeurs en Sciences humaines de Paris-7 et Paris-8 comme Lapassade en Sciences de l'éducation ou Yves en Anthropologie et Informatique. On disait alors que Pierre Bourdieu aurait souhaité traduire les Studies of Ethnomethodology le livre essentiel de Garfinkel, écrit dans une langue si particulière, et dont certains concepts s'avéraient tellement difficiles à traduire. Garfinkel aurait refusé.
Ainsi à chaque étudiant de son DESS, Yves Lecerf demandait de construire un lexique des principaux concepts et aussi parce qu'au contact de chaque chercheur ce sens se tordait. Et certains mots semblaient devoir rester intraduisibles, on les laissait en anglais en en cherchant tout de même Le sens. Yves Lecerf considérait que nous avions chacun un dictionnaire intérieur qui n'entendait pas les mêmes sens que celui du voisin. Le définir était un préalable obligé, je le compris en faisant mon propre mémoire. Accepter que le sens soit mouvant, c'était souhaiter échapper au totalitarisme d'un idéal de mots univoques pouvant conduire aux pires dérives.

Yves Lecerf noua une très belle amitié avec Harold Garfinkel, tissée de milliers de centimètres de bandes enregistrées qui demanderaient un travail de titan pour traduire et mettre en pages. Je m'y suis efforcée un temps.
Ils ont donc beaucoup parlé ensemble, en Californie d'abord où Yves est allé à plusieurs reprises.
Yves Lecerf était ethnométhodologue par essence, ayant vécu l'expérience des sectes, le travail qu'il a fait dans les Marchands de dieux de plongée et de regard extérieur à la fois, celui d'un universitaire et d'un homme étonné par la mécanique des sectes.
Il est récent que des sectes comme la scientologie perdent les procès, jusque-là on protégeait la liberté de culte, sans vouloir entendre que les sectes dépassaient plus souvent qu'à leur tour le cadre des libertés et devenaient au contraire liberticides.
C'est contre cette mort de la liberté de penser, en quelque sorte, que se battait Yves Lecerf, membre tout à la fois de l'union rationaliste et pratiquant l'astrologie avec ferveur.
Yves Lecerf était aussi mathématicien, comme l'anthropologue Robert Jaulin, avec qui il fut également ami, et qui vers la fin de sa vie se passionna pour un autre art divinatoire - avec une autre distance, la géomancie.
Distance, le mot est lâché, que l'on pourrait traduire en ethnométhodologie par "indifférence", une notion complexe. Elle entre en collusion avec "être membre", cette immersion dans l'étude ayant des liens avec ce qui fût nommé le Pariseptisme de Jaulin. Être dedans et dehors, ensemble, une certaine gymnastique de l'esprit.

C'est à la fin de sa vie qu'Yves Lecerf s'est intéressé au Yi-King. Il avait trouvé une méthode bien à lui afin de comprendre les six hexagrammes qui, combinés, constituaient un sens, permettaient de croiser des textes, des oracles sujets à méditation. A l'origine, on faisait un tirage avec des baguettes de bois, et à défaut de baguettes on utilise généralement des pièces, et pile ou face font les traits pleins ou ouverts, selon. Ying et Yang.
Yves faisait quant à lui des tirages à l'aide de dés à six faces (si je ne me trompe pas). Et selon les chiffres pairs ou impairs il établissait les 64 hexagrammes et en très peu de temps, il les connu tous par cœur.
Yves Lecerf avait déclaré, à d'autres qu'à moi d'ailleurs, qu'il mourrait au soixante quatrième hexagramme, le dernier. Il est mort à mi parcours entre le 63ème et le 64ème, entre Après l'accomplissement et Avant l'accomplissement.

C'est un homme au cœur même de son accomplissement qui mourut le 22 novembre 1995. L'Ethnométhodologie et le Yi-King, des jeux de l'esprit pour enfant triste.

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