samedi 13 septembre 2008

Les étudiants-gourous

Il n'a cessé de répéter que les étudiants, lui avaient tout appris - en cela il rejoignait son camarade Harold Garfinkel dans ce rapport intense avec eux. On le sait. Pas un mantra et pas une pose, un soulagement et de vraies rencontres. Le rapport enseignant-enseigné reste toujours très fort, intrigant. Mais ceux qui disent à voix haute s'en enrichir, et qui en redemandent presque, ceux là sont sans doute ce que les grecs nommaient les pédagogues. Enrichir les enfants. Les enfants que sont eux, et les étudiants, alors l'enfant curieux que le pédagogue doit rester.

Les étudiants de l'UFR d'Ethnologie, Anthropologie, Sciences des Religions dirigée par Robert Jaulin m'étonnèrent autant. Ils étaient audacieux, intrépides et partaient loin. Ils s'engageaient et étaient déterminés. Ils se retrouvaient, formaient une sorte de clan.
"L'ethnologie pariseptiste que défend Robert Jaulin se veut résolument morale et se refuse aux grandes théories à tendance universaliste. Elle est pour l'ethnographie traditionnelle : « celle impliquant une grande intimité avec la communauté étudiée »." (Wikipedia)
 Les étudiants donnaient l'impression de protéger Yves, plus que l'inverse. Son désespoir était reconnu, ils étaient là. Et quand il retrouva son fils en 1986, il le leur confia en partie, devint pour lui locataire dans l'un des appartements où les voyageurs se retrouvaient. Ils essayèrent aussi de l'aider à se réparer, dans un univers à l'opposé du totalitarisme qu'il avait connu.
Ces jeunes gens voyageaient avant d'être des universitaires, restaient des explorateurs avant tout, et de leur propre histoire, ailleurs. Je crois que ce que leur avait essentiellement appris Robert Jaulin, c'est à n'avoir peur de rien, ils y gagneraient. Peut-être quelque chose comme la liberté. Et à chacun son voyage.
Les cours eurent lieu d'abord à Jussieu, Université Paris-7, et dès cette époque Yves Lecerf les invita à se retrouver dans l'un ou l'autre des cafés alentour et qui devint un rite. Différentes génération bientôt se retrouvaient là. On y parlait de départs, d'aventures et bientôt d'astrologie. Certains d'entre eux l'initièrent, et il s'y engouffra, étonné, sonné, subjugué définitivement. Quand l'UFR se déplaça dans un hôtel particulier du Marais, d'autres étudiants et les mêmes se retrouvèrent aussi à chaque fin de cours, les fameux jeudi.
Un an après la mort d'Yves Lecerf, le jeudi 22 novembre 1995, tous décidèrent de se réunir le jeudi 22 novembre 96. J'y allais et appris, interloquée par cette sorte de coïncidence, la mort de Robert Jaulin ce jeudi-là. Une mort comme une espèce de fidélité à son ami.

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