mardi 2 septembre 2008

LA BIBLIOTHEQUE


Le désordre était aussi frappant qu'une photo glanée sur internet. Qui est allé chez Yves la reconnaîtra. Papiers, livres, ils jonchaient le sol de cet appartement. De toute façon on aurait pu croire qu'il était encore en chantier, sans savoir si il en partait ou s'il venait d'arriver. Un théâtre des opérations d'où on ne sortait pas, une guerre ; si on n'avait pas su que ce désordre était aussi immuable que la détresse d'Yves Lecerf.
Dans toutes les pièces, des bibliothèques en bois brut, dans le plus simple appareil, et des livres pas plus rangés sur les étagères. On comprenait que la maison n'était pas sale, mais la femme de ménage devait slalomer entre les piles de papiers et les moutons de poussière avec. Interdiction de déranger ce désordre là, nécessaire à la bonne marche des affaires. Un désordre voué aussi aux souvenirs. Alors... Un symptôme auquel se serait heurté en vain des comportementalistes appliqués et toutes autres manières barbares de réparer l'âme. Qui allait lui promettre une vie meilleure ?
J'ignore qui a hérité de ces livres, tous les livres d'Yves Lecerf. J'ai coupé les ponts à la date de sa mort. Jamais retourné là-bas comme si je ne l'avais pas connu. Les souvenirs dansaient en moi, plus sûrs qu'une image en 3D. Ou sinon ces livres se seraient retrouvés sur le marché de l'occasion d'où beaucoup d'entre eux étaient issus pour son grand bonheur. Mais la bibliothèque était intéressante à de nombreux titres - c'est le cas de le dire...
Je l'ai rangée en toute discrétion, j'avais trop de respect pour lui et pour eux. Rangement qui ne fut possible que quand une réelle confiance s'installa durablement entre nous.

Il avait plusieurs livres de chevets (autant de chevets que de lits dans chaque pièce) et dire ce qui avait sa préférence restera arbitraire.
Il m'a très vite parlé du livre Dune de Frank Herbert (au chevet de sa chambre). Mon frère l'avait offert à mon père, passionné aussi de science-fiction, le dernier Noël avant sa mort. Un livre dont le bruit avait fini par m'effrayer. Passionnée, après, je lus la saga entière, même si au fur et à mesure, on s'ennuyait de plus en plus fermement. Un autre série de romans feuilletons comptait pour lui et je l'appris tardivement, il s'agissait des Shogun de James Clavell et je ne suis pas parvenue à y entrer, même sachant qu'ils étaient une piste. Avec Yves Lecerf, j'étais sur une enquête, j'y reviendrai, et ne pouvais pas suivre toutes les pistes.
Yves Lecerf avait lu pléthore de livres de SF, un genre qu'il affectionnait particulièrement. En haut de la bibliothèque du salon se trouvaient tous les plus grands auteurs du genre, Asimov, Philip.K. Dick etc., mais aussi des livres tout public, de la SF de gare et de nombreux numéro de la revue Planète qu'il ne se résolut jamais à retirer de là-haut.
J'ai évidemment été étonnée qu'il s'intéresse autant aux livres de Barbara Cartland que l'on retrouvait dans toutes les piles de livres de la maison. Il m'avait donné un jour l'une des explications à ce mystère. Quand il avait appris à lire, il s'était jeté sur tout ce qui comptait des signes. Émerveillé de cette nouveauté mystérieuse, et connaître une faim d'histoires à partir de là. Étrange passion. Alors il se jetait, avide, sur tout ce qui se trouvait autour de lui, à Sommières se souvient-il - encore - en particulier et alors aussi les histoires pour dames, sans faire le tri. J'avais bien lu quelques Delly, on était quitte. Et puis, si on parlait du fond quand même..., ces livres-là en général étaient des contes alors qui finissent toujours bien après des tourmentes inouïes. Il en avait besoin. Le bien (sic) ici triomphait toujours.

La bibliothèque "sérieuse", se trouvait dans le salon. Et en même temps c'était compliqué de dire ça. Toujours des livres plus populaires côtoyaient les grandes œuvres, les livres savants venaient toujours s'ajouter à quelques livres que d'aucun pourrait trouver saugrenus à cette place là. Les chevaliers de la table ronde côtoyaient les Pensées de Pascal. Il y avait cependant une amorce de rangement, un coin où certains livres étaient majoritaires. Des livres de philosophie dans le petit salon. On y trouvait en particulier : beaucoup de Platon, presque toute l’œuvre de Kierkegaard, aussi de Schopenhauer, et encore Abélard, les pré-socratiques, Aristote, L'Etre et le Néant hors du salon.
Sur une haute étagère, près de l'ordinateur du moment (il y avait plusieurs bécanes de différentes générations), il y avait principalement des œuvres de ses collègues. De sociologie surtout, l'ethnologie et des philosophes amis encore. Comme Jean-Toussaint Desanti qui côtoyait Robert Jaulin, Georges Lapassade, mais pourtant les romans poétiques de Virginie Sumpf, l'école de Chicago, Harold Garfinkel bien sûr, et ses propres livres. Tout en haut plusieurs volumes du Rameau d'Or de Frazer.
Il possédait évidemment aussi beaucoup de livres d'informatique, de tous niveaux.
Dans une pièce retirée au fond de son appartement, là se trouvait la bibliothèque d'astrologie en particulier (il avait énormément de ce qui s'était publié en français sur le sujet), et de divinations en général. A la fin de sa vie il concentrera ce travail de fond et ce passe-temps à la fois, que sera l'étude du Yi-king. On y trouve aussi les livres de Robert Jaulin sur la Géomancie.

Impossible de ne pas parler de Lewis Caroll et d' Alice au pays des merveilles qui passionnera le logicien, et l'enfant qu'il reste autant. Il en possède plusieurs versions rangées sur les étagères de livres de jeunesse dans l'entrée, Bibliothèque rose ou verte, Rouge et Or ou Nelson. Et s'il a plusieurs exemplaires de certains livres, c'est pour les offrir aussi quand il les juge important ou pour les apporter pour certains cours aux étudiants. Alors les contes d'Andersen et évidement des livres de la Comtesse de Ségur, noblesse oblige.


Aucun commentaire: